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La résistance sort de l'ombre

Les progrès technologiques offrent de puissants moyens de surveiller les citoyens. Mais la riposte s'organise
Mis à jour le lundi 30 octobre 2000

Orwell l'a imaginé, Internet l'a fait ! Lorsqu'il écrit 1984, il y a plus d'un demi-siècle, le romancier britannique ne se doute certainement pas que Big Brother, incarnation virtuelle d'un pouvoir tutélaire omniprésent et omniscient qui espionne les foules dans les moindres recoins de leur intimité pour mieux les contrôler, trouverait une seconde jeunesse à l'aube des années 2000. La faute au progrès technologique, commencent à dire certaines voix. L'inquisition généralisée "devient tout à fait réalisable, voire banale, grâce à l'Ordinateur doublé de la Toile", prévient François Brune dans son dernier ouvrage Sous le soleil de Big Brother (L'Harmattan).« L'organisation de notre 'cité' n'est pas la même, pas tout à fait ; mais tout se passe comme si, et les satellites désormais nous suivent à la trace, et le vertige d'Internet ne semble subjuguer les humains que pour mieux les ficher."

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'actualité ne donne pas tort à l'essayiste français. En juin dernier, des parents américains découvrent non sans stupeur que la société Mattel espionne leur progéniture grâce à un mouchard informatique caché dans un CD-ROM ludo-éducatif. Le 24 octobre, le gouvernement de Tony Blair autorise les entreprises anglaises à surveiller les courriers électroniques et les communications téléphoniques de leurs employés, et ce sans leur consentement. Et, en décembre prochain, c'est le Conseil de l'Europe qui devrait ratifier un projet de convention sur la cybercriminalité encourageant ni plus ni moins les Etats à développer leurs propres systèmes de surveillance du Réseau. A l'instar du logiciel Carnivore, mis en place par les services secrets américains pour intercepter, au niveau inter national, les e-mails comportant des termes jugés suspects, comme « attentat" ou "drogue". Chassez Echelon, et il revient au galop !

Au détail près que la résistance commence à s'organiser. La Global Internet Liberty Campain (GILC), coalition internationale qui regroupe vingt-huit associations, au premier rang desquelles la française Imaginons un réseau Internet solidaire ! (Iris), n'a pas tardé à riposter. Elle vient de lancer une cybercampagne pour dénoncer les « sérieux dangers" que ferait porter sur les libertés individuelles et publiques l'adoption d'un tel traité - qui entend par ailleurs obliger les fournisseurs d'accès à Internet à conserver et à contrôler toutes les correspondances de leurs abonnés.

Des dangers que la fameuse "société de l'information" fait peser sur les individus il est également question dans le dernier ouvrage de Jeremy Rifkin, L'Age de l'accès (La Découverte). L'économiste américain arrive à la conclusion que l'avènement de la Netéconomie sonne purement et simplement le glas de la vie privée. "Dans la nouvelle économie en réseau, l'accès à des données privées d'ordre existentiel, telles que le style de vie ou les pratiques de consommation de tel ou tel individu, devient une marchandise convoitée et une forme d'actif immatériel fort recherchée." Résultat, les marchands du Web se livrent à une véritable traque au cyberconsommateur. Leur arme préférée : le cookie, petit programme informatique qui permet d'enregistrer, à son insu, tous les déplacement d'un internaute sur la Toile. Croisé avec des fichiers nominatifs, il s'avère redoutable pour dresser le portrait-robot d'un client potentiel et atteindre sa cible au c ur.

Un tel procédé a valu à la société américaine DoubleClick, numéro un mondial de la publicité en ligne, de recevoir le prix de la "meilleure entreprise espionne" lors de l'édition 2000 de la cérémonie des Big Brother Awards Amériques.

Nés en 1998, dans la patrie d'Orwell, les Big Brothers Awards sont à l'art de surveiller les citoyens ce que les Oscars sont au cinéma, sauf que les lauréats ne se pressent pas pour les recevoir. Organisés simultanément le 25 octobre en Allemagne, en Suisse et en Autriche, ils ont "récompensé" les entreprises et administrations qui ont fait preuve du plus grand talent pour surveiller leurs concitoyens. Une façon originale et militante de suivre les traces de Winston Smith, le héros résistant de 1984, qui, pendant son sommeil, laisse échapper : "A bas Big Brother !"

Mais cela suffira-t-il à faire reculer l'ombre du Grand Frère ? Aujourd'hui, on installe des Webcam dans sa chambre à coucher pour exhiber son intimité aux regards voyeurs des internautes. On se bouscule pour devenir les cobayes de la célèbre émission de télé vision - qui débarquera bientôt en France sous le nom de "Survivor" - dont l'excellent principe orwellien consiste à faire vivre en vase clos quelques congénères mâles et femelles sous le feu de projecteurs allumés 24 h sur 24. Autant se le tenir pour dit : Big Brother est entré dans les m urs !

Stéphane Mandard

Le Monde Interactif, 30. Oktober 2000

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